"LA CULTURE EN PARTAGE" avec
Frédéric MORIN architecte-conférencier

Voici une partie du diaporama proposé par Frédéric Morin, architecte-conférencier, sur l'histoire de la fluidité des espaces entre dedans et dehors, ou « à la fois dedans et dehors », avec l'architecture contemporaine depuis 1980 jusqu'à nos jours :

En théâtralisant les tensions entre la forme et la fonction, entre l'intérieur et l'extérieur, la fluidité spatiale est un outil majeur d'une belle architecture bioclimatique :


En effet, les architectes peuvent apporter des réponses novatrices aux enjeux climatiques qui vont marquer les décennies à venir. Avec des températures de plus en plus élevées et un climat globalement plus continental, comment assurer le confort tout en diminuant le coût énergétique d'exploitation des espaces de la vie des humains toujours plus nombreux ?
Par exemple en privilégiant un espace intermédiaire entre les espaces intérieurs et extérieurs : « entre dedans et dehors ». L'art de construire ne serait pas seulement des volumes fermés (le « plein ») mais résiderait aussi dans la manière de ne pas fermer l’espace : les loggia, terrasses, patios, auvents et galeries couvertes... bien souvent pour mieux jouer avec l'eau et bénéficier de la fraîcheur qu'elle apporte.


Plutôt que des barrières étanches, les parois deviennent des filtres qu'il faut accumuler, et entre lesquels nous habitons, et vivons mieux. Aujourd'hui les techniques et les matériaux ont évolué d'une manière telle que ces beautés prouvent leur efficacité lorsqu'elles sont pratiquées. Mais ici il s'agit de simplicité et d'ingéniosité de composition moderne avec des principes issus de la tradition constructive indienne, mettant en valeur l'intelligence d'une approche d'avenir valorisant le passé.
À différents niveaux la beauté de cette maison est réelle !
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La fluidité des espaces entre dedans et dehors, ou « à la fois dedans et dehors », avec la Maison 18 Screens (= 18 écrans) à Lucknow - Uttar-Pradesh par Sanjay Puri en 2019 :

À 123m d'altitude, le climat de Lucknow est assez comparable avec ce que nous connaissons en Europe, mais en moins froid à cause de la faible latitude (26°5 nord) bien plus qu'en nettement plus chaud : l'amplitude des records est de 47°C, de -1° à +46°C. Voilà une mise en perspective du réchauffement climatique général qui nous attend : Nîmes offre des valeurs voisines mais plus froides, avec 58°C = de -14° à +44°C .
La moyenne des températures hautes dépasse 30°C pendant 8 mois de mars à octobre (pendant 2 mois seulement à Nîmes), mais 35°C pendant 3 mois "seulement !" d'avril à juin grâce à la mousson d'été qui raffraîchit l'atmosphère. Il faut donc ici prévoir des espaces ouverts et couverts pour se protéger de la pluie comme du soleil (ce que l'on pourrait faire à Nîmes aussi).
La moyenne des températures basses ne descend jamais sous 7°C (3 mois sous 5°C à Nîmes).
La pluviométrie annuelle reste sous 1 mètre (76cm à Nîmes) ; elle est apportée par la mousson de mi-juin à fin septembre :

La Maison aux 18 écrans (= 18 Screens House en anglais) a été livrée en 2019 par Sanjay Puri pour Mr. Rajesh Singh. La totalité de la magnifique iconographie de cette page est due au photographe Dinesh Mehta, mise en ligne sur la page d'ArchDaily à l'adresse suivante :
https://www.archdaily.com/922100/18-screens-house-sanjay-puri-architects .
Il est exceptionnel de pouvoir consulter une documentation aussi belle et complète sur un édifice aussi soigneusement réalisé ; cet engagement-là valorise également la démarche des architectes et de leur client vers une architecture bioclimatique aussi belle qu'efficace.

La maison "18 Screens House" a été construite dans un contexte urbain assez dense ; la parcelle de terrain est loin d'être immense. Les conditions climatiques, mais aussi celles de cet environnement urbain, ont conduit Puri à travailler sur les écrans traditionnels en Inde que sont les jaalis, ces moucharabiehs de pierre qui sont utilisés non seulement pour filtrer la lumière et la vue des ouvertures, nécessaires à l'éclairage intérieur comme au renouvellement de l'air par circulation naturelle, mais aussi pour protéger des excès du soleil les murs pleins des façades est et ouest surtout :

Le nom de cette maison 18 Screens House exprime le parti architectural bioclimatique de Puri : les habitants vont vivre dans les espaces composés entre ces écrans, entre ces jaalis.
La comparaison entre les deux photographies de jour et de nuit fait voir les capacités de filtration assymétrique de la lumière et du regard par ces moucharabiehs. On voit au travers ce qui est plus clair ou plus lumineux derrière la grille de bois, de pierre ou de béton, et on ne voit pas au travers ce qui est plus sombre. Pour simplifier, depuis l'intérieur on ne voit dehors que le jour et pas la nuit ; depuis l'extérieur on ne voit rien de l'intérieur de jour mais bien davantage la nuit. Il faut éventuellement prévoir des rideaux ou s'assurer que le motif du jaali ne permet pas d'identifier, comme ici, quoique ce soit de ce qui se passe à l'intérieur.
Ces jaalis peuvent avoir été réalisés en béton blanc pour ne pas surchauffer au soleil, béton éventuellement fibré pour assurer une meilleure tenue dans le temps aux variations thermiques.

Ces jaalis, comme les autres moucharabiehs, permettent de confectionner une « double-peau » au bâtiment, tout-à-fait remarquable. On voit bien sur cette photo ci-dessus que le jaali protège une porte et une fenêtre, ici celles de la cuisine à l'Est, mais aussi le mur-enveloppe de la maison qui est ainsi mis à l'ombre. Une ombre partielle qui est la reproduction, par projection solaire, du motif du jaali sur le sol comme sur le mur : c'est le transfert décoratif d'une paroi à une autre.
L'air chaud qui s'est accumulé sous le débord de toiture peut aisément s'évacurer par thermosiphon naturel au fur et à mesure puisqu'il va être aisément remplacé par de l'air frais introduit plus bas. Cette double-peau naturellement ventilée empêche l'accumulation de chaleur solaire ("solar gain" en anglais) par la paroi arrière du mur. Ceci renforce l'efficacité de son isolation et/ou celle de la climatisation si elle(s) existe(nt).
L'intelligence du dispositif traditionnel est encore augmentée par l'espace donné, par la largeur entre les deux parois de la double-peau, qui est utilisable devant la cuisine pour y travailler. La cuisine est à l'Est ; cet espace est (un peu) ensoleillé (ou plutôt illuminé) le matin quand il ne fait pas encore trop chaud, mais il est totalement à l'ombre à partir du milieu de la journée, à partir des heures chaudes et surtout le soir. On peut donc y travailler moins inconfortablement qu'en façade ouest, et on peut y travailler dehors à l'abri de la pluie notamment pendant la mousson de mi-juin à fin septembre.

Force est de constater que ces jaalis qui donnent leur nom à la maison ne sont pas que des dispositifs techniques mais qu'ils constituent l'intelligence de l'âme bioclimatique de ses concepteurs, architecte et client.

Le plan offre un "H" sur un axe nord-sud ; le centre est occupé par un hall central traité comme une cour intérieure avec son bassin, chevauché par l'escalier distribuant l'étage :

À droite de l'abri du porche d'entrée, le jaali central de la façade est protège la cuisine et le mur de la salle-à-manger sur la droite. La fenêtre derrière l'arbre est celle de la loge du gardien des lieux :

Le porche d'entrée permet de sortir de la voiture sous la pluie ; celle-ci sera stationnée sous le "séjour familial" en surplomb sur la façade sud, à côté du bureau du maître de maison :

Le jaali de protection solaire de la chambre d'amis et du bureau au Sud-Est n'est que partiellement couvert, ce qui laisse davantage de lumière à la végétation qui se développe à l'intérieur de cet abri :

Seule la façade nord est assez largement ouverte grâce à de profondes loggia qui protègent efficacement les vitrages et abritent de la pluie les terrasses disposées en avant des chambres : un prolongement extérieur abrité bien agréable à la salle à manger au rez-de-chaussée et à une chambre à l'étage :

En raison de la sur-exposition à la chaleur solaire, la façade ouest est la plus fermée. Les chambres qui composent cette aile exposée sont protégées à l'étage par des murs successifs séparés par un vide qui laisse s'échapper l'air et interdit toute transmission de chaleur entre les murs extérieurs qui reçoivent le soleil et ceux intérieurs qui portent les dalles de la construction. Il ne faut pas oublier que la moyenne mensuelle des minimales nocturnes à Lucknow dépasse 25°C entre mi-mai et mi-septembre. Le mur à grands carreaux est, au niveau de l'étage, séparés des murs intérieurs par un vide que la deuxième photo montre, de nuit :

Séparée de l'artère urbaine passante par des murs à redans, la façade sud est marquée par le surplomb du "séjour familial" au-dessus de la zone de parking des voitures. Celles-ci sont ainsi efficacement mises à l'ombre d'un soleil toujours vertical à cette orientation et leurs portières mises à l'abri de la pluie de la mousson. Une disposition pratique pour accéder directement au bureau qui s'ouvre sur cet espace couvert :

Rappel des plans et sections :

Au milieu de la façade nord, un passage met en relation le hall central marqué de son bassin avec le jardin ombragé à l'arrière de la maison : les autres expositions sont trop chaudes sauf pour des palmiers... Ce passage vers le centre de la maison crée un long patio entre le séjour à l'Est et une chambre d'amis à l'Ouest :

Le séjour central et la cour intérieure sont à double-hauteur, voire même à triple hauteur pour le dispositif d'éclairage zénithal qui associe une partie horizontale fixe au sommet d'un caisson dont les vitrages latéraux permettent l'évacuation de l'air chaud même quand il pleut en été. L'évaporation de l'eau du bassin intérieur (rendue visible pour la photo par les chips de polystyrène) absorbe des calories et raffraîchit d'autant l'atmosphère à défaut de le dés-humidifier... :

Presque dans l'axe de l'escalier est à l'étage la "Familly Room", la salle de séjour intime, celle des enfants aussi. Elle surplombe le stationnement des voitures et se prolonge vers le Sud par une terrasse ni fermée ni ouverte dont les parois et le toit sont les mêmes jaalis. Cet espace n'est certainement pas un intérieur, il n'est pas pour autant un extérieur :

Toutes les chambres de la maison disposent d'une alcôve en jaalis qui offre une vue sur l'extérieur tout en mettant l'intérieur à l'abri du soleil comme des regards indiscrets. La grande chambre du premier étage dispose en plus d'un patio, alors que la chambre des maîtres de maison du rez-de-chaussée est complétée par une "fausse" loggia au plafond de moucharabieh... :

Voila une belle manière de mettre en oeuvre la fluidité de l'espace et de créer des espaces intermédiaires entre l'intérieur et l'extérieur, mettant l'accent sur l'importance de ne pas créer des frontières dures mais au contraire de les assouplir, de les diluer en les remplaçant par des filtres. Cette architecture bioclimatique-là est de toute beauté :

Cette réussite de Sanjay Puri Architecte mérite de compter parmi les réalisations emblématiques du mariage réussi entre tradition et modernité, elle mérite de porter exemple bien au-delà des frontières de l'Inde moderne.
Elle concrétise magnifiquement des recherches que j'ai autrefois conduites en Syrie en perspective de ma thèse d'Architecte DPLG soutenue en mai 1982 (projet resté sans suite !), puis poursuivies en Jordanie sur d'autres sites archéologiques :
Projet de Musée de l'Architecture à Raqqa - Syrie .

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