"LA CULTURE EN PARTAGE" avec
Frédéric MORIN architecte-conférencier

Voici une partie du diaporama proposé par Frédéric Morin, architecte-conférencier, sur l'histoire de la fluidité des espaces entre dedans et dehors, ou « à la fois dedans et dehors », avec l'architecture contemporaine depuis 1980 jusqu'à nos jours :

En théâtralisant les tensions entre la forme et la fonction, entre l'intérieur et l'extérieur, la fluidité spatiale est un outil majeur du sens (= sémantique) de l'architecture comme de son adaptation bioclimatique.


En effet, les architectes peuvent apporter des réponses novatrices aux enjeux climatiques qui vont marquer les décennies à venir. Avec des températures de plus en plus élevées et un climat globalement plus continental, comment assurer le confort tout en diminuant le coût énergétique d'exploitation des espaces de la vie des humains toujours plus nombreux ?
Par exemple en privilégiant un espace intermédiaire entre les espaces intérieurs et extérieurs : « entre dedans et dehors ». L'art de construire ne serait pas seulement des volumes fermés (le « plein ») mais résiderait aussi dans la manière de ne pas fermer l’espace : les loggia, terrasses, patios, auvents et galeries couvertes... bien souvent pour mieux jouer avec l'eau et bénéficier de la fraîcheur qu'elle apporte.


Plutôt que des barrières étanches, les parois deviennent des filtres qu'il faut accumuler, et entre lesquels nous habitons, et vivons mieux. Aujourd'hui les techniques et les matériaux ont évolué d'une manière telle que ces beautés prouvent leur efficacité lorsqu'elles sont pratiquées. Mais ici il s'agit de simplicité et d'ingéniosité...
À différents niveaux la beauté du lieu est réelle !
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La fluidité des espaces entre dedans et dehors, ou « à la fois dedans et dehors », avec l'immeuble collectif d'habitation Saadat Abad à Téhéran par Mohsen Kazemianfard en 2018 :

L'essentiel de la magnifique iconographie de cette page est due au photographe Parham Taghioff (www.Taghioff.com) qui a su magnifier le travail des architectes en dévoilant leurs subtilités.

Entre 1.100m et 1.980m d'altitude, le climat de Téhéran résite assez bien à la comparaison avec ce que nous connaissons en Europe : depuis le tableau établi en 2005, l'amplitude des records est en augmentation, passant de 50° à 63°C (de -11° à +39°C = 50°C avant 2005 devenus -20° à + 43°C = 63 °C actuellement). Voilà un effet collatéral du réchauffement climatique général. En raison de cette altitude, la moyenne des températures hautes ne dépassait 30°C que pendant 3 mois de juin à août ; celle des température basses restait sous 5°C pendant 4 mois de décembre à mars, dont 2 mois sous zéro.
La pluviométrie annuelle atteint 42cm, elle est répartie sur l'ensemble des mois hors ceux d'été. Et l'on compte 24 jours de neige... jusqu'à 2 mètres en une seule semaine début février 2014 :

L'immeuble d'habitation de Saadat Abad a été livré en 2018 par Mohsen Kazemianfard et son agence FUNDAMENTAL APPROACH ARCHITECTS. Il compte 8 niveaux dont 2 de parkings en sous-sol et salle commune, un étage commercial et de bureaux et 5 étages comportant chacun un appartement traversant. La terrasse de toiture est végétalisée, ce qui ne se voit pas encore. Seule sa façade sur rue est visible.
Comme d'autres réalisations voisines du même architecte, cette façade est traitée par des persiennes (= louvers en anglais) ici en briques, même pour les parties aériennes décollées du plan de la façade.
En effet, Kazemianfard a composé ces jalis (en hindi) ou lattice (en anglais) ou mashrabiya = moucharabieh de manière à ce qu'ils apparaissent parallèles au plan de la façade sur les côtés pour composer une double peau classique, mais pour qu'ils s'écartent et s'entr'ouvrent dans la partie centrale pour laisser passer davantage de lumière et composer sa modulation à l'intérieur :

La différence d'aspect entre la nuit et le jour illustre à merveille le fonctionnement de ces moucharabiehs et souligne la beauté de la composition plastique de Kazemianfard :

Les plans et coupes ou sections montrent des espaces généreusement dimensionnés, tout-à-fait cohérents avec les normes du confort occidental. Mais l'autonomie, pour ne pas dire la frugalité, dans lesquelles l'embargo international maintien l'Iran et les iraniens les obligent à adopter des solutions intelligemment efficaces pour résoudre des problèmes que posent les conditions climatiques locales -je parle de la pluie et du beau-temps.
Les appartements traversant entre d'un côté une façade à double-peau et balcons ombragés, et sur l'arrière une loggia ombragée elle-aussi, dispensent de la dépense finalement inutile d'une climatisation mécanique dont le fonctionnement dépend d'une fourniture électrique potentiellement elle-aussi aléatoire :

Ppour soutenir ses propositions architecturales, Kazemianfard a illustré la théorie sur la fluidité de l'espace et la création d'espaces intermédiaires entre l'intérieur et l'extérieur, mettant l'accent sur l'importance de ne pas créer des frontières dures mais au contraire de les assouplir, de les diluer en les remplaçant par des filtres :

Il a aussi conduit des recherches sur l'impact de l'orientation des persiennes sur le confort intérieur qui lui ont été précieuses pour ce projet de résidence Saadat Abad, alors que les autres solutions ont été mises en oeuvre dans d'autres bâtiments voisins, dont l'immeuble commercial Saadat Abad :

Ces travaux concrétisent des recherches que j'ai autrefois conduites en Syrie en perspective de ma thèse d'Architecte soutenue en 1982 (projet resté sans suite !), puis poursuivies en Jordanie sur d'autres sites archéologiques :
Projet de Musée de l'Architecture à Raqqa - Syrie .

L'altitude de Téhéran, et la chaleur comme le froid qui peuvent y rêgner, font que l'isolation thermique des murs et des double-vitrages derrières ces persiennes de briques est soignée comme le montre cet extrait de détail de construction :


Les éléments les plus aériens de la façade de Kazemianfard pourraient avoir été réalisé en béton fibré façon Ductal à l'imitation des briques. Mais en Iran c'est plus simplement un savant assemblage de plaques de terre-cuite sur une solide structure métallique qui reste très discrète. Collage au mastic-colle polyuréthane d'un camaïeu de briques choisies ?
Kazemianfard a conçu une façade-rideau à double-peau, l'une vitrée en arrière (menuiseries coulissantes à double-vitrage) et l'autre en dentelle de briques en avant. Outre cette description paradoxale d'un rideau en dentelle confectionnée avec un matériau normalement bien peu léger, l'effet est bluffant sous de nombreux éclairages :
Le design général évoquant des tapis, on pense nécessairement à soulever ces tapis pour voir ce qu'il y a dessous -et je ne parle pas de la poussière...
Les moucharabieh étant indiscutablement l'un des voiles de la maison, écarter et soulever le voile a du sens...
Les nombreuses plaques de moucharabieh sont composées de manière à organiser des superpositions, des trous, des soulèvements dans un sens ou dans un autre, etc. : elles animent une façade vivante.
La perception de cette vie est très diverse dans le temps, très opaque sous le soleil ou plutôt transparente de nuit (l'emplacement d'un rideau d'intimité est préparé).
Le soleil transfère le dessin du moucharabieh sur le vitrage en arrière comme sur les parois intérieures, dont une partie reprend le même motif des mêmes briques.
Le jeu des reflets des grilles dans les vitrages mis à l'ombre est très mobile lorsqu'on se déplace sous la façade ; le reflet dans les sols intérieurs brillants intalle lui-aussi cet "effet kaléïdoscope".
La couleur de l'ensemble des briques comme de chacune vibre magnifiquement, ce que n'aurait pas permis une réalisation moins accrobatique en béton fibré façon Ductal mis en oeuvre par Ricciotti au MUCEM de Marseille par exemple.
Les ombres propres et les ombres portées des briques limitent le gain solaire pendant la journée, et la porosité ainsi créée augmente la surface des échanges thermiques lors du refroidissement nocturne, auquel la moindre brise apporte son concours.

Kazemianfard a composé une ombre bienfaitrice et de magnifiques jeux de lumière tamisée derrière ses moucharabiehs. Ses filtres sont devenus des philtres.
Offrir la beauté est le meilleur message d'espoir !

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