"LA CULTURE EN PARTAGE" avec
Frédéric MORIN architecte-conférencier

Voici une partie du diaporama proposé par Frédéric Morin, architecte-conférencier, sur l'histoire de la fluidité des espaces entre dedans et dehors, ou « à la fois dedans et dehors », avec l'architecture contemporaine depuis 1980 jusqu'à nos jours :

En théâtralisant les tensions entre la forme et la fonction, entre l'intérieur et l'extérieur, la fluidité spatiale est un outil majeur d'une belle architecture bioclimatique :


En effet, les architectes peuvent apporter des réponses novatrices aux enjeux climatiques qui vont marquer les décennies à venir. Avec des températures de plus en plus élevées et un climat globalement plus continental, comment assurer le confort tout en diminuant le coût énergétique d'exploitation des espaces de la vie des humains toujours plus nombreux ?
Par exemple en privilégiant un espace intermédiaire entre les espaces intérieurs et extérieurs : « entre dedans et dehors ». L'art de construire ne serait pas seulement des volumes fermés (le « plein ») mais résiderait aussi dans la manière de ne pas fermer l’espace : les loggia, terrasses, patios, auvents et galeries couvertes... bien souvent pour mieux jouer avec l'eau et bénéficier de la fraîcheur qu'elle apporte.


Plutôt que des barrières étanches, les parois deviennent des filtres qu'il faut accumuler, et entre lesquels nous habitons, et vivons mieux. Aujourd'hui les techniques et les matériaux ont évolué d'une manière telle que ces beautés prouvent leur efficacité lorsqu'elles sont pratiquées. Mais ici il s'agit de simplicité et d'ingéniosité d'utilisation des moyens ancestraux, mis en oeuvre pour une nouvelle génération qui désire accorder ses actes et ses manières d'habiter le monde à l'évolution récente vers des comportements plus vertueux d'un point de vue écologique, une génération plus soucieuse de mesurer l'empreinte de l'Homme sur la nature.
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La fluidité des espaces entre dedans et dehors, ou « à la fois dedans et dehors », avec la résidence Sridhar + Pushkala à Bangalore dans le Sud de l'Inde centrale, par Pradhan+Sethi+Philip = PSP en 2020 :
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En raison de sa faible latitude de 12°5 nord, le climat de Bangalore résiste assez bien à la comparaison avec ce que nous connaissons en Europe : l'amplitude des records de Bangalore n'est que de 31°C (ici de +7° à + 38°C alors qu'elle est de 58°C à Nîmes, de -14° à+48°C) ; la température annelle moyenne est de 19°C.
Malgré une altitude élevée (930m) qui tempère heureusement les excès, la moyenne des températures hautes ne descend jamais sous 26°C ; celle des température basses jamais sous 15°C. La pluviométrie annuelle n'atteint qu'1 mètre, déversée en six mois de mousson entre fin avril et fin octobre ; sinon le climat est plutôt sec :

Le projet de Résidence Sridhar & Pushkala des architectes Pradha, Sethi et Philip (agence PSP Architects) est en cours de réalisation. Il n'y a donc aucune photo disponible. Mais ces architectes ont mis en ligne leurs documents de communication qui attestent déjà de la haute qualité de leur engagement éthique pour faire connaître et répandre leurs (très bonnes) idées. Vous les trouverez à l'adresse :
http://www.pspdesign.in/sridhars-residence-sustainability-study/ Il est exceptionnel de pouvoir consulter une documentation aussi complète sur un édifice en projet ; cet engagement-là valorise la démarche des architectes et de leur client qui partagent ainsi leurs conceptions bioclimatiques et durables.


Les angles de la maison sont sur les points cardinaux, disposition qui semble bien convenir lorsque la construction est isolée. La vue de nuit de la façade nord-ouest, la plus exposée au soleil d'été et donc la plus chaude, révèle le jeu de transparence des « jalis » de briques construits en avant des murs proprement dits. Ces « jaalis » exploitent pour une partie des briques manquantes qui forment ainsi un moucharabieh capable de faire circuler l'air chaud par thermosiphon. Ce moucharabieh de brique agit pour filtrer la vue et le regard en fonction de la différence de luminosité entre un côté et l'autre : la vue porte du sombre vers le clair, pas du clair vers le sombre. Mais le soleil qui traverse projette en arrière un dessin très esthétique qu'il convient d'exploiter...
Pour une autre partie certaines des briques sont disposées en travers pour déborder de la paroi et ainsi porter ombre sur la surface. La variation de la longueur des ombres pendant la journée fait partie des moyens d'animer ces parois qui ressemblent à des tapis. Ici la façade sud-ouest sera donc presque opaque de jour et beaucoup plus transparente de nuit, à l'exception d'une petite fenêtre à caisson de protection solaire en bas à gauche (la fenêtre de la cuisine) :

La façade nord-ouest est collée contre la limite de propriété car à ces latitudes il n'y a rien à faire dehors au pied d'une telle orientation.
Le bloc qui dépasse de la terrasse est celui de la cage d'escalier, qui occupe donc l'angle ouest le plus chaud de la maison. C'est là qu'on mettrait le séjour en Europe septentrionale, mais pas en Inde méridionale... car la cage d'escalier peut en mi-saison offrir un très bon ascenseur thermique et favoriser la ventilation naturelle de la maison. Le toit de cette cage d'escalier est d'ailleurs utilisé par des panneaux solaire photovoltaïques qui assureront pour partie l'autonomie énergétique de la maison, prévue pour la qualification anglosaxonne NET ZERO équivalente à "BEPAS" voire "BEPOS" en France (pour Bâtiment à Energie PASsive ou Bâtiment à Energie POSitive). Une ressource et une autonomie précieuses en raison des nombreuses coupures d'électricité liées aux orages...
La façade sud-ouest montre une superposition de profonds balcons qui protègent les vitrages arrières des apports solaires indésirés en été mais recherchés en hiver lorsque le soleil se couche plus au Sud : ils peuvent alors bénéficier aux espaces intérieurs et limiter le besoin en chauffage d'appoint (étant pris en considération que la température n'est JAMAIS descendue à Bangalore en-dessous de +7°C...).
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La justification des principes bioclimatiques et écologiques du parti architectural est très élaborée : les habitants ont une démarche volontariste et souscrivent aux "3R" = Réduire, Réutiliser, Recycler. Appliqués à l'architecture, ces principes conduisent à organiser la ventilation naturelle plutôt que la climatisation, utiliser la masse thermique pour limiter les variations de température, maîtriser les apports solaires en les concentrant là où ils sont utiles, organiser la mise à l'ombre des espaces comme des parois pour limiter le recours à l'isolation thermique. Ont été l'objet d'attentions particulières la conception des différentes orientations, les besoins différenciés de protection solaire des murs (jalis de briques) comme des toitures-terrasses avec des pergolas, des puits de lumière pour apporter la lumière naturelle au coeur de l'habitation, la réduction du poids comme de la conduction thermique des dalles de structure comme de toiture avec une chape coulée sur des poteries renversées, l'augmentation de la réverbération de cette chape grâce à un carrelage de faïence blanche (chinoise) de récupération, récupération des eaux de pluie pour tous les usages autres que nutritionnels, distribution interne de l'eau du réseau urbain sans pression autre que celle gravitaire d'une caisse à eau, chauffage de l'eau sanitaire et alimentation électrique en autonomie solaire :

La présentation des données climatiques justifie les prévisions de classement NET ZERO, grâce à la gestion de la ventilation naturelle traversante et des ombres portées par les protections solaires qui dispensent de toute climatisation mécanique classique même pendant les pics de chaleur estivale, que l'altitude de Bangalore (plus de 900m) fait mieux supporter qu'ailleurs en Inde :

La façade sud-ouest illustre merveilleusement une précaution indispensable lorsque l'on projette une protection solaire contre une paroi : il faut la ventiler par l'arrière sauf à transformer l'espace protégé en véritable four. Ici les architectes ont prévu un claustra horizontal très visible au-dessus des fenêtres du premier étage ; ils ont percé des trous dans le porche d'entrée qui est également décolé de la dalle de structure. Les fenêtres de la façade sud-est à droite sont rapidement mises à l'ombre par des saillans spécialement disposés ; sinon la loggia de l'étage est couverte d'une pergola serrée au-dessus d'une allège perforée. Il ne faut jamais rater l'occasion de faire bien, surtout en toiture où les protections solaires ne doivent surtout pas conserver la chaleur accumulée :

D'une maison à deux niveaux habitables principaux, les architectes PSP fournissent les plans de quatre étages : ce qui se passe en toiture est aussi important que ce qui se passe dessous, qu'il conditionne :

Les façades, et plus encore les coupes ou sections, montrent l'intelligence (si elle est là) du parti architectural. C'est via cette vignette parmi 500 autres sur une page internet que ce projet tape dans l'oeil (averti) : cela commence par la caisse à eau qui domine la maison. Les profonds balcons de la façade sud-ouest sont protégés au Nord-Ouest par une zone de jalis de briques (en bas à droite de l'élévation N-O). La cage d'escalier reste opaque, avec les briques en saillies qui portent ombre sur la surface et augmentent la surface d'échange thermique pour un meilleur rafraîchissement nocturne. La façade de la cuisine est traitée de même. Les jalis sont utilisés devant les fenêtres de la salle à manger en bas et de la pièce commune à l'étage, y apportant un motif de lumière solaire tamisée spécialement esthétique :

Le traitement des détails de construction montre l'articulation réfléchie entre les exigences contemporaines, par exemple la stabilité face aux tremblements de terre assurée par la structure de béton armé (Reinforced Cement Contrete = RCC en anglais), avec la valorisation des savoirs-faire vernaculaires, par exemple les jalis de briques, les murs à double-peau de briques (appelés en anglais rat-trap-bond-masonry = maçonnerie à pièges-à-rats), etc. . Les prises de jour zénithales sont traitées avec leurs protections solaires et la prévision des dilatations et retraits... tout semble aussi bien pensé que possible pour être économe à la construction comme à l'exploitation :

Voici la promotion des techniques et matériaux traditionnels qui seront mis en oeuvre avec intelligence dans cette construction à venir, visant à réduire d'au moins un tiers la dépense en béton et en acier, en mettant en avant les qualités esthétiques de la terre-cuite locale pour les plafons tout en réduisant d'un tiers sa consommation pour les murs, tout en augmentant d'un tiers l'isolation des parois grâce à ces systèmes à double-peau ou à cavités :

Outre les briques locales, d'autres savoirs-faire sont valorisés notamment au niveau des sols de carreaux de ciment dont la ville d'Athangudi s'est fait une spécialité reconnue. Les architectes de PSP valorisent les produits locaux en offrant cette vitrine aux "techies" (= technophiles) de Bangalore. Il faut organiser la demande de ce type de réalisation bioclimatique, à la fois moderne et ancrée dans les racines locales, et donc valoriser ce qui peut séduire !
Parmi les détails, et en complément des vides dans les dalles créés par de simples pots retournés en lieu et place de polystyrène importé, celui du carrelage blanc réverbérant en toiture-terrasse est d'une réelle efficacité -même si la production n'est pas (encore ?) locale :

Stratégies durablement renouvelables et saine gestion de l'eau : L'eau sanitaire intérieure est distribuée sous la faible pression gravitaire générée par la hauteur d'une caisse à eau. Le chauffe-eau solaire et les panneaux photovoltaïques font partie du décor en quantité suffisante pour assurer la certification NET ZERO. Mais de plus le réservoir d'eau en hauteur permet de conserver l'ensemble de l'eau de pluie recueillie en toitures pendant l'année, soit environ 1 m3 par m² de terrasse diminué des 100 premiers litres de chaque pluie. L'excédant momentané est réparti dedans le sol de la parcelle et non pas rejeté à l'extérieur dans le réseau public, pour recharger la nappe phréatique locale :

Le but ultime de cette belle proposition des architectes Pradhan, Sethi et Philip, est d'ancrer les utilisateurs finaux "modernes" de cette architecture, les habitants du futur, dans leurs racines indiennes, dans leurs traditions constructives locales.
De valoriser "durablement" la culture architecturale que ces "techies" auront acquise tout en pérénisant le travail d'autres vrais gens, locaux eux-aussi.
D'organiser la fierté de la réussite des uns et des autres...

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