"LA CULTURE EN PARTAGE" avec
Frédéric MORIN architecte-conférencier

Voici une partie du diaporama proposé par Frédéric Morin, architecte-conférencier, sur l'histoire de la capacité des maisons modernes puis contemporaines de faire face au réchauffement climatique, par la fluidité des espaces entre dedans et dehors, ou « à la fois dedans et dehors », depuis 1900 jusqu'à 2020 :

En théâtralisant les tensions entre la forme et la fonction, entre l'intérieur et l'extérieur, la fluidité spatiale est un outil majeur du sens (= sémantique) de l'architecture.

En plus, les architectes peuvent apporter des réponses novatrices aux enjeux climatiques qui vont marquer les décennies à venir. Avec des températures de plus en plus élevées et un climat globalement plus continental, comment assurer le confort tout en diminuant le coût énergétique d'exploitation des espaces de la vie des humains toujours plus nombreux ?
Par exemple en privilégiant un espace intermédiaire entre les espaces intérieurs et extérieurs : « entre dedans et dehors ». L'art de construire ne serait pas seulement des volumes fermés (le « plein ») mais résiderait aussi dans la manière de ne pas fermer l’espace : les loggia, terrasses, patios, auvents et galeries couvertes... bien souvent pour mieux jouer avec l'eau et bénéficier de la fraîcheur qu'elle apporte.

Plutôt que des barrières étanches, les parois deviennent des filtres qu'il faut accumuler, et entre lesquels nous habitons, et vivons mieux. Aujourd'hui les techniques et les matériaux ont évolué d'une manière telle que ces beautés prouvent leur efficacité lorsqu'elles sont restaurées après leur inscription sur la Liste du Patrimoine Mondial de l'UNESCO pour beaucoup d'entre-elles.
À différents niveaux leurs beautés sont réelles !

La fluidité des espaces entre dedans et dehors, ou « à la fois dedans et dehors », avec La Maison Esherick à Philadelphie (Pennsylvanie) par Louis Kahn (1901-1974) en 1961 :

La Pennsylvanie n'a pas le climat chaud et aride de la Californie mais plutôt continental humide et venté, marqué par des hivers froids sans être absolument glaciaux et des étés lourds, chauds et humides. À Philadelphie, l'amplitude thermique des records est de 65°C : de -24° à + 41°C (58°C à Nîmes, 48°C à Ahmedabad et 47°C à Los Angeles). La pluviométrie annuelle atteint 100cm entre des chutes de neige abondantes et des orages estivaux.



La maison a été commandée à Louis Kahn par Margaret Esherick en 1959 et livrée en 1961.
Elle a été tout particulièrement remarquée (et honorée de nombreux prix) par sa forme compacte associée à des éclairages et ventilations sophistiqués mais naturels conçus par Kahn en perspective de ses menuiseries de la Maison Weiss de 1950. D'une superficie de 230m², la construction est d'une extrême simplicité, en bloc de béton enduit. Un artisan d'art remarquable et connu aux USA, Warton Esherick oncle de Margaret, a réalisé la cuisine en bois et cuivre.

Les angles de la maison sont orientés sur les points cardinaux, et non pas les façades. La façade sud-est est la plus largement ouverte, elle donne sur un petit jardin bordant un parc public. À l'Ouest de la porte et du balcon est le séjour en double-hauteur, à l'Est est la chambre à l'étage et la salle à manger au rez-de-chaussée, complétés sur la droite par le dressing et la salle de bain à l'étage, et la cuisine + buanderie en bas, sans ouverture visible. L'ordonnance est globalement symétrique, mais pas vraiment. Et on voit au-travers de la maison :

La façade sud-ouest, la plus désagrablement exposée au soleil, ne présente pas d'autre ouverture qu'une fente vitrée cachée derrière le conduit de la cheminée qui est décollé du mur : Louis Kahn ne fait pas dans le banal :

Les ouvertures de la façade nord-ouest sur la rue ont un petit côté anthropomorphique avec ces bandes horizontales à l'étage et ces fentes verticales au rez-de-chaussée. Les grands vitrages principaux sont fixes mais les autres sont ouvrants et permettent de ventiler très efficacement les intérieurs. Là encore la composition utilise la symétrie de part et d'autre de l'entrée de la maison pour souligner des différences d'usages intérieurs :

Les espaces occupés par la cuisine au rez-de-chaussée et la salle-de-bain à l'étage n'ont pas d'autres fenêtres que sur la façade nord-est, ce qui est très logique en rapport avec leurs usage. Le conduit de cheminée saillant de la façade permet un barbecue extérieur en complément de la hotte de la cuisine et la cheminée du chauffage intérieur :

Les plans expriment cette conception ordonnée qui ne laisse pas sa chance au hasard mais qui valorise à la fois la fantaisie et l'efficacité. Une définition de la poésie ?
Tous les problèmes techniques sont rassemblés dans les espaces servants du Nord-Est. À l'opposé, l'espace servi du séjour sur deux hauteurs est plus large que les autres espaces servis à simple hauteur que sont la chambre traversante à l'étage ou la salle à manger et son office, qui accueille les invités.
Les fenêtres de la chambre traversante sont identiques au Nord et au Sud (ce qui améliore l'efficacité de la ventilation naturelle dans une pièce basse) alors que ce besoin n'existe pas dans le séjour à double hauteur qui présente donc des fenêtres très différentes les unes des autres.
Les parties ouvrantes de ces fenêtres et leurs volets sont en profondeur par rapport au nu de la façade, ce qui permet de les laisser ouvertes même lorsqu'il pleut en été, ce qui n'est pas toujours inutile. Ce retrait organise également une turbulence d'air qui augmente la surpression d'un côté et la dépression de l'autre. L'organisation de ces fenêtres par paire écartée suffit à créer un courant d'air intérieur.
De toute évidence, Kahn a composé la manière dont les éléments physiques (lumière, chaleur, air, eau, vue...) pouvaient ou non traverser la maison au bénéfice de ses occupants :

À l'étage, la chambre à coucher est traversante. Le grand vitrage central est fixe (avec son rideau occulant intérieur), mais les quatre latéraux sont des ouvrants à guillotine avc volets en bois. Un petit volet central en allège complète la ventilation :

Au rez-de-chaussée, la cuisine a été conçue et réalisée par Warton Esherick :

Au rez-de-chaussée, la salle à manger ouvre sur le jardin et le parc par un grand vitrage fixe, encadré par quatre ouvrants coulissants comme à l'étage avec volets à gonds. De quelques pourcents le rideau roulant intérieur n'est peut-être pas aussi performant qu'un volet extérieur, mais il est beaucoup moins cher et reste en bon état beaucoup plus longtemps :

À l'angle sud de la maison sur deux niveaux et sa galerie à l'étage, le séjour traversant est la pièce maîtresse. Avec la fente verticale entre les étagères à livres (Margaret Esherick était libraire), il organise la transparence de la maison entre ses façades sur rue et sur jardin. Si cela est désiré, la chaleur de la cheminée en hiver peut bénéficier à la chambre de l'étage en utilisant ses deux portes coulissantes. Si cela est désiré, la chambre peut être raffraîchie en été en combinant les entrées et sorties d'air de la chambre et du séjour en haut comme en bas --de la double-orientation améliorée :

À l'exception de la façade nord-est des pièces techniques, le linteau des fenêtres a partout été supprimé. Les menuiseries passent devant la bordure des dalles, ce qui se voit en façade également. Ceci limite le pont thermique mais surtout fluidifie l'espace et la relation entre l'intérieur et l'extérieur :

Lous Kahn a ainsi composé une petite maison apparement très simple mais qui bénéficie de tous les petits détails qui en font une grande oeuvre !

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