"LA CULTURE EN PARTAGE" avec
Frédéric MORIN architecte-conférencier

Voici une partie du diaporama proposé par Frédéric Morin, architecte-conférencier, sur l'histoire de la fluidité des espaces entre dedans et dehors, ou « à la fois dedans et dehors », avec l'architecture contemporaine depuis 1980 jusqu'à nos jours :

En théâtralisant les tensions entre la forme et la fonction, entre l'intérieur et l'extérieur, la fluidité spatiale est un outil majeur du sens (= sémantique) de l'architecture.


En plus, les architectes peuvent apporter des réponses novatrices aux enjeux climatiques qui vont marquer les décennies à venir. Avec des températures de plus en plus élevées et un climat globalement plus continental, comment assurer le confort tout en diminuant le coût énergétique d'exploitation des espaces de la vie des humains toujours plus nombreux ?
Par exemple en privilégiant un espace intermédiaire entre les espaces intérieurs et extérieurs : « entre dedans et dehors ». L'art de construire ne serait pas seulement des volumes fermés (le « plein ») mais résiderait aussi dans la manière de ne pas fermer l’espace : les loggia, terrasses, patios, auvents et galeries couvertes... bien souvent pour mieux jouer avec l'eau et bénéficier de la fraîcheur qu'elle apporte.


Plutôt que des barrières étanches, les parois deviennent des filtres qu'il faut accumuler, et entre lesquels nous habitons, et vivons mieux. Aujourd'hui les techniques et les matériaux ont évolué d'une manière telle que ces beautés prouvent leur efficacité lorsqu'elles sont pratiquées. Mais ici il s'agit de simplicité et d'ingéniosité au service des plus pauvres.
À différents niveaux l'intelligence de ces propositions est réelle, et leur architecte Alejandro Aravena a été couronné du Pritzker en 2016 !
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La fluidité des espaces entre "plus rien suite à catastrophe naturelle majeure" et habitat décent, ou « à la fois fini et à compléter », avec le programme Villa Verde à Constitucion (Chili) par Alejandro Aravena (fondateur d'ELEMENTAL) en 2016 :

La ville de Constitucion a subi en 2010 un important séisme suivi d'un tsunami qui a détruit de très nombreuses habitations accueillant une population déjà pauvre. Alejandro Aravena et son cabinet Elemental étaient déjà en 2009 à étudier la demande de logements intelligents popur les employés de la société forestière Arauco. Leur réponse fut donc élargie à une population bien plus large, organisée sur un principe expérimenté depuis 2004 à Iquique pour la résorbstion du bidonville d'une centaine de famille sur 5.000m² à Quinta Monroy.
Voir par exemple la notice mise en ligne sur la page de BAZED à l'adresse suivante :
http://www.bazed.fr/wp-content/uploads/2015/10/evolutivite-quinta-monroy.pdf

À partir d'une aide gouvernementale de 7.500 USD par famille pour acheter le terrain, lotir, financer les aménagements de Voirie et Réseaux Divers (= VRD) puis la construction proprement dite, Aravena avait proposé de construire à Iquique des demi-maisons accolées en bandes tout en prévoyant le Gros-Oeuvre de manière à favoriser l'autoconstruction du complément d'habitation au fur et à mesure des rentrées d'argent des habitants :

Dans ce premier projet d'Iquique, ELEMENTAL interpellait : "Comment pouvons-nous, à travers la conception, canaliser les propres capacités de construction des gens?" Plutôt que de considérer la construction informelle (= les bidonvilles) comme le problème -et c'en est un-, la pratique architecturale d'Aravena s'est tournée vers les habitants pour trouver des solutions et, ce faisant, a créé une typologie de logement unique qu'il a continué d'utiliser dans toute l'Amérique du Sud.
Ce premier programme Quinta Monroy a validé l'expérimentation sociale résumée par le slogan d'Aravena :
« une demi-maison de qualité pour chacun (à compléter) fait une société pour tous »
et initie une démarche constante du cabinet Elemental saluée en 2016 par Thomas Pritzker, président de l'organisation qui porte son nom :
« Ces réalisations reconnaissent l’importance de l’approche sociale et humaniste d’ELEMENTAL en matière d’architecture, qui montre comment la meilleure architecture peut améliorer la vie des gens. »


Quinta Monroy était un projet de logements sociaux dans le centre d'Iquique, au Chili. Le site avait été illégalement occupé par 97 familles depuis les années 60 ; les architectes ont relogé ces familles sur le même site de 5.000 m².
L'emplacement central en ville du bidonville triplait le prix du terrain par rapport à ce que les logements sociaux pouvaient normalement se permettre, mais la subvention fournie par le gouvernement était exactement la même: 7 500 USD par famille. Cette somme devait couvrir les coûts du terrain, des infrastructures et des bâtiments . Le défi était de savoir comment construire des logements décents pour ces familles alors qu'il n'y avait presque plus d'argent pour le logement lui-même après l'achat du terrain.
Dans ce projet, 70% du budget a été dépensé pour le terrain et 30% pour les infrastructures et le bâtiment, alors que ces ratios sont généralement l'inverse.
Lorsqu'il n'y a pas assez d'argent pour construire une maison de taille confortable pour une famille, la réponse du marché consiste simplement à les réduire. ELEMENTAL a reformulé la réponse et a pensé, au lieu de construire des maisons plus petites, pourquoi ne construisons-nous pas la moitié d'une bonne maison de taille confortable ?

Cette «demi-maison» conçue par ELEMENTAL était essentiellement le cœur d'une maison, cette moitié de maison que les résidents ne pouvaient pas se construire correctement par eux-mêmes (par ex. cuisine et salle d'eau). Les logements initiaux étaient des structures en blocs de béton à double hauteur et robustes, dotées des éléments essentiels - une cuisine, une salle de bains, des murs de séparation et un escalier en bois. Chacune de ces structures en forme de boîte alternait avec un espace vide exactement de la même taille. Dans cette ouverture, la famille a pu agrandir sa propre maison, configurant l'espace comme elle le souhaitait et s'appropriant ainsi son futur en le construisant. « Le bâtiment initial doit fournir un cadre de soutien plutôt que de contrainte. D'un côté pour éviter tout effet négatif de l'auto-construction sur l'environnement urbain dans le temps, mais aussi pour faciliter le processus d'expansion et d'appropriation » (Alejandro Aravena).


Pour ELEMENTAL, il était important que cette typologie de logement devienne un investissement plutôt qu'une perte financière. Contrairement à presque tous les autres biens immobiliers, le logement social perd souvent de sa valeur dès sa construction. Bien au contraire, Quinta Monroy a gagné en valorisation financière depuis son achèvement, valeur apportée par les habitants par les travaux qu'ils y ont consacrés après la livraison initiale.



Généralement situés en périphérie des villes, où les terrains sont bon marché, les zones de logements sociaux sont généralement des lieux d'isolement, de conflits sociaux et d'inégalités. En choisissant de reloger les résidents dans leur emplacement central initial plutôt que de céder aux sirènes de la promotion immobilière, les autorités ont choisi que les habitants de Quinta Monroy puissent vivre dans le tissu de la ville, restent non exclus d'elle, avec accès au travail, à l'éducation, aux transports en commun et à de bonnes installations de santé. Chaque demi-maison a été conçue comme si elle faisait partie d'une maison à revenu intermédiaire, avec des chambres spacieuses et des installations de bonne qualité (bien que quantitativement limitées). Chacune avait le potentiel de devenir une maison familiale généreuse. Au fur et à mesure que les résidents emménageaient, ils pouvaient prendre ces espaces généreux et adapter la structure à leurs besoins, en personnalisant leur espace à leurs propres frais et travail - ajoutant de la couleur, de la texture et de la vie. Grâce à ce processus, non seulement les logements ont augmenté en taille et en valeur, mais les résidents ont également développé un sentiment de fierté, de propriété et d'appartenance à leur maison. Avec des maisons généreuses et personnalisables et un emplacement enviable, chaque logement a plus que doublé de valeur en l'espace d'une année. Pour les familles dans le besoin, cela signifie qu'une subvention gouvernementale modeste pourrait alors conduire à un véritable tournant pour sortir de la pauvreté.

Aravena conclut ainsi :
« C'est ainsi qu'en utilisant des outils architecturaux nous contribuons à des questions non architecturales - dans ce cas, comment vaincre la pauvreté. »

https://www.bazed.fr/wp-content/uploads/2015/11/evolutivite-quinta-monroy-2.pdf

Le programme de Villa Verde à Constitucion bénéficie de ces expériences, mais il a été lancé dans des conditions bien différences, celles de l'urgence liée à l'hébergement d'une population dont les habitations avaient été dévastées par un tremblement de terre puis un tsunami en 2010. Le projet initial de 2009 destiné aux employés de la firme forestière Arauco a été élargi pour accueillir bien plus de monde, mais explique l'environnement forestier de l'opération :

Les volumes alloués à chaque unité d'habitation ne sont plus partagés entre plusieurs cellules familiales, et les surfaces initiales comme potentielles à autoconstruire sont supérieures, pour atteindre 80m² sur des parcelles de 63m² :

Le principe de base consiste à associer les fonds internationaux mobilisés pour l'hébergement d'urgence temporaire suite à une catastrophe naturelle avec les fonds gouvernementaux pour l'habitat social (environ 7.500 USD par famille) pour produire un habitat de bonne qualité, durable au sens écologique comme physique et économique, réalisé avec des matériaux solides et de qualité.
Ce sont quelques 484 "demi-maisons" qui sont réalisées en ossature bois sur massifs de fondations en béton, couverture en zinc-aluminium avec chauffe-eau solaire ballon 200 litres. L'isolation des murs est réalisée en panneaux de ouate de cellulose de 40mm et peau de fibrociment pour la rigidité et la résistance aux intempéries, plus plaques de plâtre à l'intérieur pour le confort. L'isolation des rampants de toitures est renforcée par rapport à cette description. La quasi-totalité du parc immobilier français n'est pas aussi bien isolée que ces demi-maisons de Villa Verde, et ce standart de qualité sera assuré à l'avenir puisque l'enveloppe contenant les agrandissements à venir est déjà isolée !
C'est donc tout sauf un habitat précaire :

Le principe consiste à accompagner l'agrandissement d'une cellule d'habitation de bonne qualité dès le départ, et non pas d'améliorer plus tard la qualité des parois ou des équipements. Si le fonctionnement est trop onéreux (par défaut d'isolation par exemple) alors les usagers ne peuvent pas accumuler les ressources nécessaires à l'amélioration future du logement. Il faut faire les économies de fonctionnement ou d'usage dès l'entrée dans les lieux car cela dégage les ressources nécessaires à l'agrandissement. Et c'est bien ce schéma-là qui fonctionne :

Tous les documents techniques n'ont pas été mis en ligne par ELEMENTAL / Alejandro Aravena, mais ce qu'ils ont communiqué inspire toute confiance dans le sérieux de leur démarche :

Les photos de chantier confortent l'intelligence de la conception pour tenir les prix et les délais :

Villa Verde, une ville nouvelle pour une nouvelle vie grâce à l'appropriation progressite du cadre de vie :

L'architecture d'Aravena, c'est l'art d'ensoleiller l'avenir des malchanceux.
Voilà un bioclimaticien de génie !

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