"LA CULTURE EN PARTAGE" avec
Frédéric MORIN architecte-conférencier

Voici une partie du diaporama proposé par Frédéric Morin, architecte-conférencier, sur l'histoire de la capacité des maisons modernes puis contemporaines de faire face au réchauffement climatique, par la fluidité des espaces entre dedans et dehors, ou « à la fois dedans et dehors », depuis 1900 jusqu'à 2020 :

En théâtralisant les tensions entre la forme et la fonction, entre l'intérieur et l'extérieur, la fluidité spatiale est un outil majeur du sens (= sémantique) de l'architecture.

En plus, les architectes peuvent apporter des réponses novatrices aux enjeux climatiques qui vont marquer les décennies à venir. Avec des températures de plus en plus élevées et un climat globalement plus continental, comment assurer le confort tout en diminuant le coût énergétique d'exploitation des espaces de la vie des humains toujours plus nombreux ?
Par exemple en privilégiant un espace intermédiaire entre les espaces intérieurs et extérieurs : « entre dedans et dehors ». L'art de construire ne serait pas seulement des volumes fermés (le « plein ») mais résiderait aussi dans la manière de ne pas fermer l’espace : les loggia, terrasses, patios, auvents et galeries couvertes... bien souvent pour mieux jouer avec l'eau et bénéficier de la fraîcheur qu'elle apporte.

Plutôt que des barrières étanches, les parois deviennent des filtres qu'il faut accumuler, et entre lesquels nous habitons, et vivons mieux. Aujourd'hui les techniques et les matériaux ont évolué d'une manière telle que ces beautés prouvent leur efficacité lorsqu'elles sont restaurées après leur inscription sur la Liste du Patrimoine Mondial de l'UNESCO pour beaucoup d'entre-elles.
À différents niveaux leurs beautés sont réelles !

La fluidité des espaces entre dedans et dehors, ou « à la fois dedans et dehors », avec La villa Farnsworth à Plano (près Chicago) par Mies van der Rohe en 1951 :

L'Illinois n'a pas le climat chaud et aride de la Californie mais plutôt continental humide et venté, marqué par des hivers froids et des étés lourds. À Chicago, l'amplitude thermique des records est de 75°C : de -32° à + 43°C ! (58°C à Nîmes, 48°C à Ahmedabad et 47°C à Los Angeles). La moyenne des températures hautes ne dépasse 25°C que pendant 3 mois de juin à août, alors que la moyenne des températures basse passe sous zéro(°C) pendant quatre mois de décembre à mars. La pluviométrie annuelle atteint 100cm : l'essentiel est apporté par des orages estivaux :

La maison a été commandée par le Dr Edith Farnsworth en 1945 à Ludwig Mies van der Rohe qui utilisa les plans pour l'exposition qui fut consacrée à son oeuvre au MOMA en 1947. Mais la construction ne put démarrer qu'en 1950, Mies étant à la fois l'architecte et l'entrepreneur général... ce qui ne manqua pas de créer des difficultés. En particulier liées au dépassement du budget initial généré par l'augmentation du prix des matériaux faisant l'objet de spéculations boursières en vue de l'effort de guerre américan en Corée :

Cette maison de week-ends était destinée à accueillir Madame Farnsworth au milieu de la nature, un parc de 24 hectares bordant une rivière : "vivre en pleine nature", voilà le programme développé sur 142m². Quoiqu'en disent les critiques d'art, la villa comporte plusieurs pièces en relations aussi étroites que possible les unes avec les autres : le parc est une pièce (fermée au public, c'est évident) ; la Fox River qui borde le terrain est une autre pièce (d'eau, c'est très visible lorsqu'elle déborde) ; la terrasse découverte est une pièce dont le sol est relevé (en hauteur comme en état de surface au point qu'elle est désignée comme "patio") par rapport au sol naturel du parc ; un peu plus haut, la terrasse couverte en avant de la porte d'entrée offre l'abri d'un narthex totalement ouvert sur trois côtés mais totalement vitré vers ce qu'il est convenu d'appeler l'intérieur de la maison. Cet "intérieur" couvert est totalement vitré vers l'extérieur (couvert ou non) sur toutes ses faces. Les rideaux ne suffisent pas toujours à réduire le nombre des insectes attirés par la lumière le soir, et qui a fait installer des moustiquaires autour du porche, un temps. Aujourd'hui, le bilan énergétique de cette maison de W.E. est problématique tant en été par l'absence de protection solaire qu'en hiver par les déperditions thermiques au-travers des simples vitrages.
On peut affirmer que cette maison est naturellement confortable aux moments où l'on peut vivre confortablement dehors de jour et de nuit, ce qui n'est pas si fréquent en Illinois. Aujourd'hui, on sait fabriquer des vitrages peu transmissifs du rayonnement solaire et très isolants de la conduction thermique, des triples vitrages gaz argon par exemple, pour réduire les coûts de la climatisation en été et du chauffage en hiver :

D'une superficie de 142m² sur 330m² construits, cet "intérieur" se distingue de l'extérieur par la possibilité d'y supprimer les courants d'air, mais pas d'y supprimer la lumière solaire par exemple. Un îlot central organise en les écartant la répartition des fonctions de cette vaste pièce : salle à manger et premier lit proche de la terrasse à l'Ouest, chambre à coucher principale à l'opposé à l'Est, cuisine sur la face étroite au Nord et séjour avec cheminée sur la face large au Sud. L'îlot central abrite deux salles de bains et le local technique, en somme les fonctions ou les activités que l'on ne partage pas avec ses invités :

La totalité de la surface construite est dégagée du sol. L'emprise au sol se limite aux douze poteaux acier en "H" qui portent les sols puis le toit-terrasse lorsqu'il existe, et un cylindre qui contient les alimentations d'électricité et d'eau et l'évacuation des eaux vannes et usées. Il n'est pas exactement banal de voir "sous la maison" comment ça marche... :

Puisque la nature est transformée en papier-peint par la transparence des murs, l'intérieur est très logiquement minimaliste, éventuellement isolé par le rideau périphérique. La maison est transformée en musée, et l'ameublement n'est pas dans les dispositions d'un usage humain mais fait de la "représentation" :

En 1951, Mies van der Rohe livre la maison transparente de ses rêves (de 1945) à Madame Farnsworth : offre-t-elle un réel abri aux éléments météorologiques et climatiques ? voire à la nature impétueuse des insectes ?
Mies achève ici un cycle entamé dans les années 1920 avec le Bauhaus et le Weissenhof de Stuttgart, poursuivi avec le Pavillon de Barcelone en 1929 et la Maison Tugendhat en 1930. Wright a parcouru un chemin similaire d'ouverture sur la nature à partir de ses maisons "Prairie" (Robie House) qui l'a conduit à la Maison Walker ("transparente comme la vague") de Carmel en 1948 après Fallingwater et ses portes-à-faux en 1939. Rudolf Schindler (Los Angeles 1922), Richard Neutra (Palm-Spring 1947) ou encore Philip Johnson (New Canaan 1949), beaucoup ont expérimenté ce « credo » des architectes modernes « ni dedans ni dehors » !
Cette maison Farnsworth est née de la rencontre (momentanée) entre un architecte hors du commun et un client hors du commun. Peut-on raisonnablement envisager que ce qu'ils ont conçu ensemble soit érigé en un modèle d'habitat pour l'Humanité toute entière ? Il est heureux que cette oeuvre d'art exceptionnelle ait pu être réalisée et conservée (2 lits sur un terrain de 24 hectares...) ; il est heureux aussi que cette oeuvre d'art reste à l'horizon de nos rêves de vie au grand air soumis au cycle des saisons et aux aléas météorologiques ou climatiques : l'architecture nous en protège (le plus souvent).

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