"LA CULTURE EN PARTAGE" avec
Frédéric MORIN architecte-conférencier

Voici une partie du diaporama proposé par Frédéric Morin, architecte-conférencier, sur l'histoire de la fluidité des espaces entre dedans et dehors, ou « à la fois dedans et dehors », avec l'architecture contemporaine depuis 1980 jusqu'à nos jours :

En théâtralisant les tensions entre la forme et la fonction, entre l'intérieur et l'extérieur, la fluidité spatiale est un outil majeur d'une belle architecture bioclimatique :


En effet, les architectes peuvent apporter des réponses novatrices aux enjeux climatiques qui vont marquer les décennies à venir. Avec des températures de plus en plus élevées et un climat globalement plus continental, comment assurer le confort tout en diminuant le coût énergétique d'exploitation des espaces de la vie des humains toujours plus nombreux ?
Par exemple en privilégiant un espace intermédiaire entre les espaces intérieurs et extérieurs : « entre dedans et dehors ». L'art de construire ne serait pas seulement des volumes fermés (le « plein ») mais résiderait aussi dans la manière de ne pas fermer l’espace : les loggia, terrasses, patios, auvents et galeries couvertes... bien souvent pour mieux jouer avec l'eau et bénéficier de la fraîcheur qu'elle apporte.


Plutôt que des barrières étanches, les parois deviennent des filtres qu'il faut accumuler, et entre lesquels nous habitons, et vivons mieux. Aujourd'hui les techniques et les matériaux ont évolué d'une manière telle que ces beautés prouvent leur efficacité lorsqu'elles sont pratiquées. Mais ici il s'agit de simplicité et d'ingéniosité au service des plus pauvres.
À différents niveaux la beauté de la réalisation est réelle : son auteur Noel V. Jerald a été nommé "Jeune architecte indien de l'année 2012" !
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La fluidité des espaces entre dedans et dehors, ou « à la fois dedans et dehors », avec la maison de Illam Gnana à Ammapatti près de Bangalore dans le Sud de l'Inde centrale, par Noel Jerald en 2012 :

En raison de sa faible latitude de 12°5 nord, le climat de Bangalore résiste assez bien à la comparaison avec ce que nous connaissons en Europe : l'amplitude des records de Bangalore n'est que de 31°C (ici de +7° à + 38°C alors qu'elle est de 58°C à Nîmes, de -14° à +48°C) ; la température annelle moyenne est de 19°C.
Malgré une altitude élevée (930m) qui tempère heureusement les excès, la moyenne des températures hautes ne descend jamais sous 26°C ; celle des température basses jamais sous 15°C. La pluviométrie annuelle n'atteint qu'1 mètre, déversée en six mois de mousson entre fin avril et fin octobre ; sinon le climat est plutôt sec :

Jerald a produit un argumentaire de cette belle réalisation "écofriendly" qui est présenté par :
https://www.designboom.com/project/gnana-illam-_-an-eco-friendly-residence/
et auquel cette présentation doit beaucoup, outre l'importante documentation mise en ligne à l'adresse suivante :
https://issuu.com/iab_archives/docs/iab_june_2012/85

Les recherches de Noel V. Jerald portent sur la relation entre les traditions constructives vernaculaires et l'aspiration à la modernité d'une partie de la population indienne. Cette maison a été projetée dans un milieu rural essentiellement agricole pour un couple de jeunes cinquantenaires pour accueillir également les deux fils de famille et leurs femmes ainsi que leurs petits-enfants. Ce sont donc huit personnes sur trois générations qui cohabitent dans un environnement traditionnel :

Jerald a su soutenir un projet novateur par la volonté de respecter les ressources locales et l'environnement dans une perspective de frugalité énergétique comme économique imposée par les faits : les ressources d'un villageois rural ne sont pas extensibles. Alors-même que les relations traditionnelles avec la population locale devait être maintenues sans barrière et avec une grande capacité d'accueil du salon (extensible pour les amis et la famille), et une réelle adaptabilité des espaces pour les activités domestiques familiales.

Le travail sur les relations entre l'intérieur et l'extérieur a servi ces objectifs de frugalité heureuse. Jerald précise : « Comme observé dans les autres logements du village, la rue constitue une partie essentielle de la maison... ». Il compose donc des espaces ouverts, semi-ouverts, couverts et enfin fermables plutôt que fermés. Ainsi, les cours des deux angles de la façade orientale sont couvertes à hauteur double par un claustra qui magnifie ces espaces (couverts avec des tubes de PVC déclassés), donnant ainsi une prestance certaine à l'entrée : un iwan à double-hauteur pour accueillir les invités.

Et les coûts de réalisation ont été compactés par le rejet de la solution du tout-béton, généralement adoptée sans y réfléchir, aussi rapide d'exécution qu'onéreuse immédiatement comme à long terme, et donc hors de portée économiquement parlant.
À la place du béton, Jerald a su convaincre ses clients que la terre extraite sur place pouvait être stabilisée avec 5% de ciment pour fabriquer des blocs de terre crue plus économes que des briques cuites. Grâce à l'usage d'une machine à compression manuelle, la fabrication des blocs de terre a fait embaucher 5 manoeuvres locaux et réduit la consommation d'énergie entre 5 et 15 fois par rapport à au même volume de briques cuites et dégageant pour finir entre 2 et 7 fois moins de CO². Il a également su convaincre et former les maçons locaux pour fabriquer ces blocs et monter des murs dont les parements résistent aux intempéries tout en conservant une vibration colorée naturellement accordée avec la construction vernaculaire. Il a su tirer parti des vents dominants pour organiser la circulation naturelle de l'air au-travers de la maison entre les façades nord et sud de l'entrée en créant de hautes ouvertures sur des cours opposées qu'il a reliées par une loggia en hauteur... et en réduisant autant que possible la façade ouest et les ouvertures sur cette façade généralement surchauffée par le soleil de l'après-midi et localement par un vent chaud du Sud-Ouest.
Réalisées en pierre locale, les persiennes horizontales des deux cours d'angles de la façade orientale fonctionnent comme des moucharabiehs en régularisant la circulation de l'air, en limitant l'apport solaire matinal comme les vues depuis le village tout en assurant les vues transparentes depuis l'intérieur de la maison vers le village et la visite de ses habitants, qui seront accueillis dans la cour à double hauteur comme sous un iwan :

En position centrale à l'intérieur, le séjour est traversant entre l'Ouest et l'Est. À l'Ouest, il est éclairé par une toute-petite fenêtre de la cuisine ouverte sur le séjour, protégée du soleil par un caisson. À l'Est, le séjour est fermé mais il s'ouvre tant au Nord sur la cour privative qu'au Sud sur l'Iwan d'entrée, ce qui lui fait bénéficier du courant d'air traversant entre le Nord et le Sud où l'iwan d'entrée à double-hauteur augmente son efficacité. Le milieu du séjour est lui-aussi à double hauteur : la salle commune pour les enfants de l'étage (N°11 sur le plan) est totalement ouverte sur ce vide au-dessus du séjour :

Les proportions, dimensions et emplacements des ouvertures des façades sont composées en relation avec l'usage social, l'utilité domestique et la rationalité climatique pour apporter la réponse la plus efficacement économique sans chauffage ni climatisation :

Toutes les pièces et chambres sont ainsi conçues pour être aisément rafraîchies par ventilation naturelle diurne ou nocturne ; des grilles indépendantes des portes et/ou fenêtres permettent d'ouvrir ces dernières tout en interdisant les intrusions indésirables.

Au-dessus de la partie en simple hauteur du séjour, entre les deux cours à double hauteur, une terrasse couverte permet de séjourner dehors au vent mais à l'abri de la pluie, voire d'y dormir, ce que l'on peut également faire sur la terrasse de toiture également partiellement couverte lorsqu'aucune pluie n'est prévue pendant la nuit.

Les fenêtres de la façade ouest sont protégées du soleil par des tableaux en saillie qui mettent (un peu) les vitrages à l'ombre :

Dans l'angle sud-est de la maison le plus proche du village, l'entrée se fait par une cour couverte d'une pergola à hauteur double, formant un iwan d'accueil :

Cette réussite concrétise des recherches que j'avais autrefois conduites en Syrie en perspective de ma thèse d'Architecte DPLG soutenue en mai 1982 (projet resté sans suite !), puis poursuivies en Jordanie sur d'autres sites archéologiques :
Projet de Musée de l'Architecture et Hôtel à Raqqa.

La rigueur de la démarche de ce jeune architecte Noel V. Jerald fait penser aux dessins de Le Corbusier pour la Maison Shodhan à Ahmedabad, mais dans une version adoucie dans l'esprit des compositions de Louis Kahn, auteur de l'Indian Institute of Management d'Ahmedabad livré en 1974 comme du Parlement du Bangladesh inauguré en 1982.
Cette attention portée à l'humilité (même en architecture, cf. la fabrication sur place des blocs de terre compressée qui a donné du travail à 5 personnes) constitue une orientation éthique de l'art de construire, certainement pas innovante mais qu'il convient justement d'applaudir et développer. En conséquence, Jerald a été nommé "Jeune architecte indien de l'année 2012" !
Dès mars 2013, Jerald indiquait qu'une autre maison du village avait été construite dans la même perspective mariant la tradition vernaculaire et la modernité des conceptions, et que quatre autres étaient en préparation !

C'est surtout en bien traitant de la sorte l'habitat ordinaire que le monde se portera mieux !

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