"LA CULTURE EN PARTAGE" avec
Frédéric MORIN architecte-conférencier

Voici une partie du diaporama proposé par Frédéric Morin, architecte-conférencier, sur l'histoire de la fluidité des espaces entre dedans et dehors, ou « à la fois dedans et dehors », avec l'architecture moderne depuis 1900 jusqu'à 1980 :

En théâtralisant les tensions entre la forme et la fonction, entre l'intérieur et l'extérieur, la fluidité spatiale est un outil majeur du sens (= sémantique) de l'architecture.

En plus, les architectes peuvent apporter des réponses novatrices aux enjeux climatiques qui vont marquer les décennies à venir. Avec des températures de plus en plus élevées et un climat globalement plus continental, comment assurer le confort tout en diminuant le coût énergétique d'exploitation des espaces de la vie des humains toujours plus nombreux ?
Par exemple en privilégiant un espace intermédiaire entre les espaces intérieurs et extérieurs : « entre dedans et dehors ». L'art de construire ne serait pas seulement des volumes fermés (le « plein ») mais résiderait aussi dans la manière de ne pas fermer l’espace : les loggia, terrasses, patios, auvents et galeries couvertes... bien souvent pour mieux jouer avec l'eau et bénéficier de la fraîcheur qu'elle apporte :


Plutôt que des barrières étanches, les parois deviennent des filtres qu'il faut accumuler, et entre lesquels nous habitons, et vivons mieux. Aujourd'hui les techniques et les matériaux ont évolué d'une manière telle que ces beautés prouvent leur efficacité lorsqu'elles sont restaurées après leur inscription au Patrimoine Universel de l'UNESCO en 1987 pour les réalisations d'Oscar Niemeyer à Brasilia.
À différents niveaux leurs beautés sont réelles !

La fluidité des espaces entre dedans et dehors, ou « à la fois dedans et dehors », avec le palais Itamaraty du Ministère des Relations extérieures à Brasilia par Niemeyer en 1962 :

À 1.170m d'altitude et en zone tropicale à 15°48' Sud de latitude (attention les ombres du soleil sont inversées), le climat du haut plateau de Brasilia résiste assez bien à la comparaison avec ce que nous connaissons en Europe. Avec 33°C, l'amplitude des records de Brasilia est très faible en comparaison de celle de Nîmes (58°C = de -14° à +44°C) mais ici de +2° à +36°C.
Les variations de température sont faibles ; les courbes sont très plates car l'altitude contrebalance la faible latitude. La moyenne annuelle des températures hautes dépasse 26°C mais la moyenne mensuelle des températures hautes varie peu. La moyenne mensuelle des températures basses ne descend pas sous 13°C, elle s'établit au-dessus de 16°C huit mois par an.
L'ensoleillement annuel dépasse 2.300 heures (2.500 heures à Nîmes).
La pluviométrie annuelle atteint 1,50m, soit le double de la pluviométrie de Nîmes :

Bien que la formation d'architecte qu'il a reçue au Brésil ait été très classique, c'est vers les oeuvres de Le Corbusier que Niemeyer oriente ses premières réalisations, en « tropicalisant » progressivement l'architecture moderne.
Lorsqu'en 1956 Juscelino Kubitschek devient président de la République du Brésil, il décide de construire une nouvelle capitale au cœur du Planalto central. L'architecte Lucio Costa conçoit le plan de la ville et Oscar Niemeyer est chargé de concevoir et réaliser les principaux bâtiments publics de la jeune république : le Congrès national, le siège du gouvernement fédéral, le Tribunal fédéral suprême, le ministère des Affaires étrangères, celui de la Justice, la présidence de la République, etc. organisés à proximité sinon autour de la Place des Trois Pouvoirs :

Le Palais Itamaraty accueille le Foreign Office, Ministère des Affaires étrangères en français.
Sa volumétrie et sa composition générale évoquent celles du Palais Brongniart, ordonnée par Napoléon en 1807, qui accueillait depuis 1826 la Bourse, la Chambre et le Tribunal de Commerce : quatre façades identiques aux colonnes corinthiennes et simple entablement, sans fronton. Pas d'axe privilégié dans cette construction périptère ; pas de structure pyramidale ; un bâtiment au service de la société, manifestant la pluralité des actions humaines :

Construit en 1960-1961 par Possokhine à l'initiative de Khrouchtchev, pour affirmer la déstalinisation de l'URSS, le Palais des Congrès au Kremlin de Moscou exploite la même simplicité générale avec ses quatre façades identiques mais encore accentuée par l'absence de toute référence stylistique à l'architecture antique. Les chapiteaux ont disparu à Moscou, et l'entablement est réduit à un simple bandeau, mais aussi un bâtiment dont les quatre façades sont identiques pour manifester la pluralité des républiques associées dans l'URSS :

A Brasilia, Niemeyer compose un bâtiment également périptère aux quatre façades identiques, mais dont les colonnes, ici des piliers de section triangulaire, baignent dans l'eau, prennent leur appui dans l'eau qui entoure la totalité de la construction, sans base apparente.

Par le « miracle » du béton armé, l'arrête verticale extérieure des piliers croise la simple ligne horizontale à laquelle se réduisent à la fois l'entablement et l'acrotère. La dalle de toiture est soutenue par les arches coffrées à l'arrière des pilliers, sans chapiteau ni corniche : de verticale la forme devient celle d'une arche qui apparaît en contre-jour. Cet ensemble forme bien une galerie d'arcades entourant la « cella » du temple des Relations extérieures, le Foreign Office, dont les bureaux sont accueillis dans une boîte de verre abritée sous la dalle de toiture, dont elle apparaît séparée :

sur le toit de la boîte de verre se développe le 3ème étage et sa galerie couverte :

L'une des séquences d'accès par l'Est au Ministère, dont les volumes intérieurs, vitrés, sont abrités très en retrait sous la toiture :

Les plans du sous-sol et du « rez-de-lac » :

Le bâtiment est partagé en deux ailes symétriques à l'Ouest et à l'Est séparées par un espace central traversant, un grand hall ouvert sur le lac, ici au Sud :

Les deux étages du hall central sont reliés par la sculpture d'un escalier spectaculaire :

Les plans des 2ème et 3ème étage :

La partition du 2ème est abandonnée au 3ème pour créer un faux patio, une galerie couverte sur laquelle s'ouvrent les salons d'accueil et de réception du ministère :

Outre la modernité et la fluidité des lignes, l'architecture de Niemeyer n'est pas l'expression de la puissance de son pays, le Brésil, dans ses relations avec les autres pays. La diplomatie commence par ne pas imposer sa force à ses interlocuteurs. L'architecture composée par Niemeyer est simultanément assez classique pour que son fonctionnement puisse être adopté et assez moderne pour installer une perspective et renouveler l'espoir d'une société meilleure. Elle semble aéré, accessible, baignée par le principe de vie aquatique et ouverte aux vents rafraîchissants les esprits autant que l'atmosphère :
« Notre préoccupation est aussi politique - changer le monde ... L'architecture est mon travail, et j'ai passé toute ma vie sur une planche à dessin, mais la vie est plus importante que l'architecture. Ce qui compte, c'est d'améliorer les êtres humains. »
Oscar Niemeyer - Oscar Niemeyer, l'architecte qui a éradiqué la ligne droite" - 2010

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