"LA CULTURE EN PARTAGE" avec
Frédéric MORIN architecte-conférencier

Voici une partie du diaporama proposé par Frédéric Morin, architecte-conférencier, pour préparer l'adaptation de nos habitats face au réchauffement climatique, par des espaces adaptés et un intelligent usage de l'eau pour la capter, la conserver et l'utiliser plusieurs fois à plusieurs usages différents.

Ces architectures traditionnelles peuvent inspirer nos choix face aux enjeux climatiques qui vont marquer les décennies à venir. Avec des températures de plus en plus élevées et un climat globalement plus continental, comment assurer le confort tout en diminuant le coût énergétique d'exploitation des espaces de la vie des humains toujours plus nombreux ?



Dans ces régions, le rapport entre l'intérieur et l'extérieur des constructions est modelé par l'exceptionnelle dureté des condidions climatiques, sur les plateaux d'altitude généralement supérieure à 1.000 mètres. À Ispahan au centre de l'Iran (à 1.590m d'altitude, amplitude thermique de -19° à +43°C), la moyenne des températures hautes dépasse 30°C pendant 4 mois de juin à septembre, alors que la moyenne des températures basse descend sous 5°C durant 5 mois de novembre à mars, dont 3 mois sous zéro. La pluviométrie annuelle ne parvient pas à atteindre 12 cm ! (par comparaison, cette pluviométrie est supérieure à 76 cm à Nîmes où il fait aussi chaud en été mais moins froid en hiver).
Il faut donc retenir la rare eau superficielle et capter l'eau souterraine, la conserver depuis la saison hivernale (où l'altitude fait qu'elle tombe sous forme de neige) jusqu'au milieu de l'automne suivant, l'acheminer pour la distribuer et l'utiliser plusieurs fois, en répartissant les usages entre l'irrigation des cultures, la boisson des hommes et des bêtes, l'énergie du travail des moulins (farine, textile...), le rafraîchissement des espaces de vie, maisons, jardins et hammams.


La ville et l'oasis d'Ispahan sont irriguées par le fleuve Zayandeh Roud « rivière qui donne la vie ». En effet, lorsque les précipitations annuelles sont inférieures à l'évaporation annuelle, aucune agriculture n'est possible sans irrigation, laquelle fut planifiée par Sheikh Bahaï (1547-1621) lorsqu'en 1598, l'empereur Shah Abbas Ier (1571-1629) décida de déplacer la capitale de l'empire iranien à Ispahan, au milieu du haut plateau iranien.
Sauf cette « rivière qui donne la vie » il n'y a pas d'eau en surface pour abreuver le bétail et l'agriculture est également subordonnée à l'amendement des sols (d'où l'élevage traditionnel des pigeons voir ici) puisque la vie animale sauvage est insuffisante pour les fertiliser naturellement.

Si l'on considère que les constructions humaines, l'architecture, constituent un vêtement complémentaire externe dans lequel nous pouvons bouger --le chauffage nous permet de traverser l'hiver en débardeur et la climatisation de conserver notre complet-veston en plein été-- alors dans ces régions désertiques l'architecture règle non seulement le rapport entre l'intérieur et l'extérieur = « dedans » et « dehors » pour les habitations mais aussi pour les jardins et les villes.



Les architectures de cette dynastie safavide privilégient un espace intermédiaire entre les espaces intérieurs et extérieurs : « entre dedans et dehors ». Ces architectes safavides sont aussi des poètes, des philosophes, des savants mathématiciens, astronomes, voire alchimistes ; l'aboutissement de leur art ne serait pas la seule conception des volumes mais résiderait aussi dans la manière de ne pas fermer l’espace, voire d'abuser les sens pour dématérialiser la perception des parois, ce à quoi les miroirs sont employés.

Ispahan - Palais Hasht Behest = « Huit Paradis » construit en 1669 sous Suleiman 1er 1666-1694 :

Ce palais d'habitation et de réception a été construit en même temps que la première campagne de construction du château de Versailles, dans lequel la cour de Louis XIV ne put s'installer qu'en 1682. Ce palais d'Ipahan dispose des commodités de l'époque ; il est surtout merveilleusement adapté au climat semi-désertique d'altitude (1.590m) et à la chaleur estivale de fin avril à octobre :

La réputation des construction safavides d'Ispahan s'était répandue jusqu'aux cours des monarques européens. L'architecte Pascal Coste (1787-1879) effectue de nombreux relevés architecturaux vers 1838-1839, qui seront publiés à Paris en 1867.
La composition semble rigide : autour d'un espace central élevé et aéré, les quatre angles sont occupés par des appartements. Il suffit de se déplacer pour occuper le lieu le plus confortable au moment. Un iwan (= porche) occupe le centre de chacune des façades en offrant le confort de son ombre en été ou de son abri ensoleillé en hiver suivant le besoin et l'orientation :

Trois de ces iwans se prolongent sans rupture sur l'espace central, qui s'assimile à la cour centrale d'une habitation, mais ici couverte (ce qui est aussi le cas d'habitations très ordinaires). Seul l'iwan du Sud est plus intime : il correspond aux appartements équipés de latrines.
L'iwan de réception ou Diwan s'ouvre plus largement vers le Nord, la zone la plus confortable la majeure partie de l'année :

Des loggias permettent de bénéficier de la chaleur solaire en hiver ou de la fraîcheur vespérale en été :

Les jets d'eau améliorent grandement le confort d'été. L'évaporation d'un liquide absorbe des calories et ainsi « produit du froid ». En facilitant l'évaporation les jets d'eau absorbent davantage de calories qu'un simple bassin et humidifient mieux l'air sec de la région semi-désertique. Ils fonctionnent comme un climatisateur d'aujourd'hui.
Par contre, leur bruit est plus appaisant que celui d'un climatiseur car ce bruit de fond empêche de percevoir ce qui pourrait déranger et réduit l'effet de ce qui pourrait nuire. Ils constituent ce que nous appelons aujourd'hui un écran sonore.
Le grand hall central, cette cour couverte que Pascal Coste appelle "salle des pas perdus", est ainsi traversée par la moindre brise qui distribue ses bienfaits dans les étages :

Les transparences et les reflets des portes, des impostes, des fausses impostes, des balustrades... sont savamment composés pour enrichir la perception de la continuité entre l'intérieur et l'extérieur, en dématérialisant les parois grâce aux jeux des reflets dans les miroirs :

A Grenade, les zelliges imitent les claustras ou moucharabieh de bois vus depuis l'intérieur et dématérialisent la perception du mur qui dépasse pourtant 2m d'épaisseur :

A Ispahan, au-dessus des fausses impostes, aveugles, les miroirs placés derrière les moucharabieh de bois imitent des claustras vus depuis l'intérieur et dématérialisent la perception du mur en donnant l'illusion d'une fenêtre :

L'étage des appartements autour de l'iwan nord, dont les plafonds sont perlés de miroirs. Bien qu'il soit ouvert sur l'extérieur, l'agrément de cet espace prolongé dans le temps par deux cheminées. Une autre cheminée est visible dans une des pièces de l'étage :

Les colonnes de bois supportant les toits des iwans se confondent avec les troncs des arbres du jardin :

Le lanternon couronnant la coupole centrale à muqarnas évacue la chaleur excédentaire :

Comme celles d'autres plafonds, la résille qui parcourt la surface du lanternon est couverte de miroirs dont les reflets clairs sont perçus comme la lumière zénitale et transforment la couverture en dentelle :

Dans les appartements privés, les hauts plafonds sont ornés de muqarnas ; les fenêtres hautes favorisent l'évacuation de la chaleur excedentaire et en conséquence assurent l'apport d'air frais rafraîchi par les jets d'eau dans la "cour couverte" :

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